Sevrage alcoolique: penser à traiter les troubles du sommeil pour réduire le risque de rechute

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

24 février 2020

Paris, France -- La dépendance à l’alcool est généralement associée à des troubles du sommeil et du rythme biologique. Pour favoriser une abstinence durable et limiter le risque de rechute, il convient dépister et de traiter ces troubles, notamment par luminothérapie ou par mélatonine, a indiqué le Dr Pierre Alexis Geoffroy (Hôpital Fernand Widal, AP-HP, Paris), qui est intervenu lors du congrès de l’Encéphale 2020 [1].

« C’est aux cliniciens de rechercher chez ces patients un trouble du rythme circadien », l’objectif étant d’améliorer la qualité du sommeil pour faciliter le traitement de la dépendance, a précisé le psychiatre, également médecin du sommeil. « La persistance des symptômes d’un sommeil altéré est prédictif du risque de rechute après un sevrage alcoolique ».

Un sommeil altéré dans 90% des cas

Le lien entre addiction et trouble du rythme biologique suscite de plus en plus d’intérêt et fait l’objet, depuis peu, de travaux de recherche. On estime que 90% des patients présentant une dépendance à l’alcool ont également un trouble du sommeil, qui se manifeste en général par de l’insomnie (difficultés à s’endormir, réveils nocturnes fréquents, réveils matinaux).

« Lorsqu’ils souffrent d’insomnie, ces patients ont aussi un risque accu de dépression et de suicide ». La dégradation de leur état de santé se retrouve alors renforcée par la privation de sommeil. Une situation qui peut induire un cercle vicieux en poussant à consommer davantage d’alcool dans l’espoir de mieux dormir, explique le Dr Geoffroy.

Les études montrent également que les symptômes liés au trouble du sommeil ont tendance à se maintenir, malgré l’arrêt de la consommation de la substance addictive. Ainsi, dans l’une d’entre elles, un patient sur deux présentait encore une qualité de sommeil altérée (index de Pittsburgh >5) après un mois de sevrage d’alcool [2].

« Quasiment toutes les substances psychotropes provoquant une addiction agissent sur le rythme biologique, en l’avançant (effet sédatif) ou en le retardant (effet psychostimulant) », a rapellé le Dr Geoffroy. La relation est dose-dépendante, l’augmentation des doses ayant tendance à accentuer le trouble du sommeil.

 
On estime que 90% des patients présentant une dépendance à l’alcool ont éga-lement un trouble du sommeil, qui se manifeste en général par de l’insomnie.
 

Inhibition de la sécrétion de mélatonine

Dans le cas de l’alcool, « il y a un effet sur l’horloge biologique par inhibition de la sécrétion de mélatonine, et ce même à faible dose, ce qui retarde l’endormissement. Une consommation chronique d’alcool peut même induire une inversion du pic de mélatonine qui se retrouve sécrétée en journée, provoquant alors des somnolences diurnes. »

L’arrêt de la consommation d’alcool ne va pas pour autant atténuer les symptômes, bien au contraire. « Pendant la période de sevrage, on peut parler de tremblement de terre chronobiologique pour ces patients », qui se retrouvent confrontés à une aggravation des troubles, en raison parfois d’un arrêt de sécrétion de mélatonine.

Pour une majorité de patients, « il faut environ un mois d’abstinence pour retrouver un rythme circadien normal », précise le spécialiste. Il existe aussi, chez certains, une vulnérabilité génétique qui entraine une persistance des symptômes liés au trouble du sommeil et, par conséquence, un risque accru de rechute, a précisé le spécialiste.

Par conséquent, « le sommeil et le rythme biologique doivent être évalués chez les patients présentant une addiction à l’alcool », dans le cadre d’une prise en charge personnalisée d’un sevrage alcoolique. « S’il existe des troubles du sommeil et du rythme, il faut les dépister et les traiter pour réduire le risque de rechute. » Un accompagnement spécifique doit alors être mis en place.

Maintenir les benzodiazépines

Lorsque ces patients sont sous benzodiazépines, il est recommandé de maintenir le traitement pour les aider à dormir pendant les débuts de l’abstinence, indique le Dr Geoffroy. « Il ne faut surtout pas retirer ce traitement avant d’initier un sevrage alcoolique, au risque de renforcer les difficultés à s’endormir, de favoriser les cauchemars et de donner envie de consommer à nouveau de l’alcool. » 

 
Le sommeil et le rythme biologique doivent être évalués chez les patients présentant une addiction à l’alcool, dans le cadre d’une prise en charge personnalisée d’un sevrage alcoolique  Dr Pierre Alexis Geoffroy
 

Pour dépister les troubles du sommeil, le spécialiste propose de recourir au questionnaire permettant d’établir l’index de qualité de sommeil de Pittsburgh (PSQI). Celui-ci comprend une auto-évaluation par 19 questions. Autre outil à privilégier: l’agenda de sommeil à faire remplir au patient qui doit décrire chaque jour les temps de sommeil et d’éveil.

L’actimétrie permet aussi de mesurer le rythme veille/sommeil. Cet examen vient en complément pour apporter des informations sur la qualité du sommeil et son organisation sur 24 heures. L’analyse peut également être complétée par une polygraphie du sommeil pour décrire plus en détail les différentes phases de sommeil.

Habitudes de vie à changer

La modification de certaines habitudes de vie (voir encadré) permet d’améliorer les symptômes du trouble du sommeil dans 90% des cas, précise le psychiatre. La thérapie comportementale cognitive (TCC) de l’insomnie et la thérapie interpersonnelle (TIP) sont également à privilégier, tout comme la luminothérapie.

Concernant le traitement par mélatonine, il propose deux approches. La première utilise une faible dose (≤ 1 mg) à prendre dans un délai de deux à six heures avant le coucher pour avancer la phase d’endormissement. La seconde recherche l’effet soporitifique de la mélatonine à plus haute dose (entre 2 et 5 mg). Le traitement est alors à prendre 15 à 30 minutes avant le coucher.

Le traitement par mélatonine peut être prescrit sans limite de durée, précise le médecin. « La mélatonine n’entraine pas de dépendance. A l’arrêt du traitement, certains patients vont réussir à maintenir un bon rythme veille/sommeil. D’autres vont avoir besoin d’un traitement à plus long terme. »

Hygiène de sommeil : les règles à respecter

Pour mieux dormir, l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INVS) donne quelques conseils:

  • adopter des horaires de sommeil réguliers. Se coucher et se lever à heure fixe favorise la synchronisation du rythme veille/sommeil;

  • s’exposer à la lumière du jour. Le bon fonctionnement de son horloge interne dépend d’une stimulation par la lumière naturelle ;

  • pratiquer une activité physique régulière, mais pas après 20 heures. Le soir, l’endormissement est facilité et la qualité du sommeil est améliorée;

  • éviter les excitants (café, thé, vitamine C) après 15 heures ; tout comme l’alcool et le tabac, en soirée, associés à des réveils nocturnes plus fréquents ;

  • opter pour un dîner léger, au moins deux heures avant le coucher, en privilégiant les aliments à base de glucides lents (pomme de terre, riz, pain, pâtes). Ceux-ci stabilisent le sommeil, grâce à des apports énergétiques constants, tout au long de la nuit ;

  • maintenir la température de la chambre autour de 18 °C. La baisse de la température corporelle étant un facteur déclenchant de l’endormissement, mieux vaut ne pas surchauffer sa chambre;

  • supprimer toute exposition à un écran dans les deux heures qui précèdent le coucher;

  • favoriser l’obscurité complète au coucher. Sécrétée en l’absence de stimulation lumineuse, la mélatonine déclenche l’endormissement.

 

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