Pourquoi il est difficile de reconnaître certains cas d'autisme chez les femmes

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

27 février 2020

Paris, France— Existe-il un autisme « féminin » ? Pourquoi l’autisme est-il sous-diagnostiqué chez les femmes ? Comment accompagner les patientes au mieux ? Lors du congrès de l’Encéphale 2020, Adeline Lacroix, doctorante en psychologie et neurosciences cognitives (Université Grenoble-Alpes, CNRS), diagnostiquée avec un syndrome d’Asperger il y a six ans suite à un burnout, est venue répondre à ces différentes questions et témoigner des particularités de l’autisme chez les femmes[1].

« Il n’y a pas d’autisme féminin mais des femmes autistes qui ont été peu considérées jusqu’ici », explique d’emblée l’intervenante. « Les femmes autistes sont sous-diagnostiquées car la recherche est essentiellement basée sur ce qui se passe chez les garçons. Ce biais de recherche a généré des descriptions et des outils, comme les tests ADI-R et ADOS-2, qui ne permettent pas toujours de diagnostiquer les femmes autistes (lesquelles n’atteignent pas les seuils).  Ces outils diagnostic sont très performants mais il est nécessaire de les compléter par d’autres ou par une connaissance clinique approfondie de l’autisme chez les femmes pour pouvoir mettre en avant ce qu’ils ne révèlent pas, notamment le fait qu’elles sont souvent capables de cacher leurs symptômes », précise-t-elle.

Des symptômes camouflés

Les symptômes féminins sont-ils différents des symptômes masculins ? La réponse est non. « A la base, on retrouve bien les difficultés sociales et de communication ainsi que des intérêts spécifiques, des comportements stéréotypés et une sensorialité atypique », souligne l’intervenante. Toutefois, il existe des différences qui sont liées au sexe comme dans la population générale (différences biologiques et liées au genre, facteurs culturels).

Depuis 2013, le DSM5 indique que les filles autistes sans déficit intellectuel ou sans retard de langage pourraient être sous-diagnostiquées possiblement en raison d’une présentation clinique atténuée des difficultés sociales et de communication.

Au niveau social, on s’attend à voir des personnes qui ont un manque très important au niveau du contact avec l’autre (au niveau du regard, de la relation à l’autre). Pourtant chez les femmes autistes, les études scientifiques montrent qu’il y davantage d’attention et de motivation sociale que chez les garçons et les hommes [2]. Elles ont aussi plus de comportements de réciprocité [3].

Ces différentes caractéristiques peuvent les amener à développer plus d’amitié, parfois avec l’aide d’une « ambassadrice sociale », d’une personne qui va faire le lien entre elle et les autres [4,5]. C’est un point d’appui pour l’apprentissage social qui va ensuite se faire par imitation. « Les études montrent que les filles autistes camouflent beaucoup mieux leurs symptômes que les garçons, d’une manière générale », indique Adeline Lacroix qui précise que « le camouflage consiste en un ensemble de stratégies qui visent à minimiser l’autisme en contexte social ».

Les femmes autistes compensent aussi leurs symptômes grâce à leur habilité verbale avec une utilisation plus systématique de mots orientés sur les processus cognitifs comme : « je pense… » et aussi parce qu’elles arrivent peut-être mieux à adopter les « bonnes » tonalités. Aussi, au niveau non verbal, on retrouve davantage de gestuel chez les femmes, ce qui peut donner l’impression d’une meilleure communication.

Les études montrent que les filles autistes camouflent beaucoup mieux leurs symptômes que les garçons Adeline Lacroix

Adeline Lacroix, en se livrant à cet exercice de présentation orale dans lequel elle semble parfaitement à l’aise donne un parfait exemple de ce camouflage. Interrogée par un psychiatre de la salle sur le fait que personne dans l’assistance ne pourrait imaginer qu’elle souffre d’un syndrome d’Asperger si elle ne l’avait pas dit, elle explique que même si cela ne se voit pas, elle a du mal à supporter le bruit du congrès, la lumière de la salle, qu’elle contrôle régulièrement l’emballement de son rythme cardiaque via sa montre connectée alors qu’elle nous parle et qu’elle sait déjà qu’elle mettra plusieurs jours à se remettre de s’être exposée de la sorte.

Comment expliquer cette aptitude au camouflage ?

Certaines recherches montrent que l’aptitude au camouflage pourrait être liée à une meilleure représentation de soi, à un meilleur insight qui pourrait peut-être passer par une meilleure mémoire autobiographique. Les scènes sociales sont observées avec attention. Elles sont enregistrées comme un ensemble de scripts sociaux dans lesquels on re-puise pour répondre à une situation donnée. « C’est difficile parce qu’il n’existe pas deux situations qui sont exactement les mêmes. Cela demande beaucoup d’efforts », témoigne Adeline Lacroix.

Des difficultés compensées mais existantes

« Ce n’est pas parce que les difficultés sont compensées qu’elles ne sont pas existantes. On retrouve des difficultés persistantes au niveau de la compréhension des relations d’une manière générale qui perdure tout au long de la vie », décrit Adeline Lacroix.

Au niveau des attitudes, la communication des femmes autistes autour de leurs centres d’intérêt, par exemple, peut donner l’impression qu’elles donnent des leçons parce qu’elles communiquent mal ou maladroitement. Tout cela va entrainer du rejet, de la solitude, des situations de conflit, voire de harcèlement.

Concernant les intérêts spécifiques, ils ne sont parfois pas détectés chez les filles car les questionnaires interrogent sur les intérêts spécifiques des garçons : intérêt pour les trains, les plans de métro, etc.

Pourtant, chez les enfants autistes, il existe une certaine préservation des intérêts en fonction des stéréotypes de genre. « Les jeunes filles autistes vont davantage s’intéresser aux animaux, à la musique, à la littérature », souligne l’intervenante.

Ce n’est pas parce que les difficultés sont compensées qu’elles ne sont pas existantes Adeline Lacroix

Aussi, on retrouve un certain nombre de problèmes sensoriels (alternance d’hypo et d’hypersensibilités) qui ne sont pas moindres chez les filles que chez les garçons mais qui, là encore, sont peut-être moins pris au sérieux. « Si elle est sensible ou capricieuse, on va peut-être se dire que chez une fille, c’est normal [et non pas qu’il s’agit d’une intolérance sensorielle] ».

Une compensation qui a un coût

Cette compensation majoritairement retrouvée chez les filles induit un certain nombre de conséquences délétères à la fois d’un point de vue identitaire : « lorsque l’on passe son temps à jouer des rôles, on ne sait plus trop qui on est ». Mais surtout, elle génère de l’épuisement «  parce que rien n’est naturel, tout est toujours réfléchi. Les burnout sont extrêmement fréquents, tout comme les troubles mentaux », explique Adeline Lacroix.

A force de prendre sur soi, on peut développer un certain nombre de troubles somatiques (de l’autoimmunité, inflammatoires, articulaires, cardiovasculaires…) et de troubles de la santé mentale. Les comorbidités psychiatriques sont fréquentes chez les personnes autistes, de l’ordre de 2 à 5 en moyenne. Il peut s’agir de troubles internalisés de type anxiété et dépression, de consommation de substance, d’addictions, de troubles du comportement alimentaire (hypersensibilité et hyper contrôle), de troubles de la personnalité (bipolaire, antisociale, histrionique, narcissique) ou de syndromes de trouble post-traumatique.

Ces troubles peuvent être à la fois des comorbidités et des diagnostics différentiels, ce qui rend la situation complexe. « Il faut bien connaitre les diagnostics différentiels et savoir réorienter au besoin pour éviter les sous-diagnostics et les sur-diagnostics », précise, à ce titre, Adeline Lacroix.

Les comorbidités psychiatriques sont fréquentes chez les personnes autistes, de l’ordre de 2 à 5 en moyenne.

Genre, vie affective, sexualité

Autre point clé, les femmes autistes ont des spécificités liées à leur féminité.

Elles ont une vulnérabilité aux abus sexuels notamment, en raison de leur mauvaise compréhension de la relation à l’autre. Il est important pour elles de travailler sur le consentement, le respect de soi, les sphères public/privé.

Elles ont aussi des spécificités dans l’orientation sexuelle même s’il ne s’agit pas forcément de dysphorie de genre. « Peut-être parce que les femmes autistes adhèrent moins souvent à la norme de genre », précise Adeline Lacroix.

Les relations de couple sont possibles même si elles sont compliquées, indique-t-elle. Elles sont plus fréquentes chez les femmes autistes que chez les hommes autistes []: 50 des femmes versus 20 % des hommes avec un diagnostic tardif sont en couple.

Enfin, les femmes autistes peuvent aussi être des mères. « Mais, il existe des problématiques spécifiques à ces mères autistes », souligne l’intervenante. Elles sont plus sujettes à des troubles psychiatriques de type dépressions du pré et du postpartum. Elles vont aussi être en difficulté avec les tâches multiples et les responsabilités domestiques. Enfin, elles vont avoir des difficultés à créer des opportunités sociales pour leur enfant. Un aspect positif essentiel, toutefois, est qu’elles mettent les besoins de leur enfant souvent au premier plan. « Elles sont parfois mal comprises des enseignants ou des services sociaux en raison d’une mauvaise compréhension de leur comportement alors qu’elles n’osent pas forcément révéler leur diagnostic. Cela peut conduire à des situations dramatiques », souligne Adeline Lacroix.

Les femmes autistes sont plus sujettes à des troubles psychiatriques de type dépressions du pré et du postpartum.

Comment les accompagner au mieux ?

Prise en charge multidisciplinaire et parcours coordonné semblent être les clés du succès. Lors de sa présentation, la doctorante a donné l’exemple du centre Asperger et C3R de Grenoble qui dispose d’une équipe pluridisciplinaire très large (psychiatre, sage-femme, psychologue, neuropsychologue, psychomotricienne, ergothérapeute, infirmière, patient ressource, job coach, éducateur technique + appel à des intervenants libéraux notamment à un nutritionniste…). Pour chaque usager du centre, un référent va identifier les forces et les besoins de la patiente afin de mettre en place un plan de suivi individualisé pour proposer la bonne intervention au bon moment.

Les femmes vont avoir droit aux modules communs que sont, par exemple, les groupes d’habileté sociale, de gestion des émotions ou l’éducation thérapeutique. Mais, elles vont aussi pouvoir, avec la sage-femme, travailler des problématiques spécifiquement féminines. La sage-femme évalue les antécédents somatiques, gynécologiques et obstétricaux. Elle réalise un travail d’information et de prévention sur la sexualité, la contraception, la vie de couple avec notamment sur la prévention des violences. Enfin, elle va accompagner les femmes dans leur désir d’enfant, la grossesse et l’allaitement. Elle va notamment répondre aux questions concernant l’hérédité, la comptabilité des traitements avec la grossesse et l’allaitement, les ressources existantes, la divulgation du diagnostic aux équipes soignantes, la sensibilisation des équipes de périnatalité…

« Il y a peu de personnes qui peuvent diagnostiquer les femmes autistes et aussi peu de personnes qui peuvent les accompagner. J’espère que ce type d’initiative pluridisciplinaire va se développer à d’autres endroits qu’à Grenoble. C’est important. Il faut connaitre les caractéristiques des femmes autistes. Le dépistage et le diagnostic sont importants. Moi, il m’a sauvé la vie », conclut Adeline Lacroix.

 

 

 

 

 

 

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