Universités, classes prépas, grandes écoles…ou la souffrance des « jeunes élites »

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

19 février 2020

Paris , France – Universités, classes prépas, grandes écoles…les étudiants sont soumis à la pression de la réussite, à laquelle viennent s’ajouter d’autres facteurs (inégalités sociales, déracinement…). De quoi développer une importante détresse psychique.

Au cours du congrès de l’Encéphale 2020 , le Dr Dominique Monchablon, psychiatre à Paris, a décrit les profils pathologiques des étudiants rencontrés en consultation et les facteurs de risque auxquels ils sont soumis [1].

25% de la population étudiante en détresse psychologique

« Les étudiants de classes préparatoires et des grandes écoles vont souvent consulter pour des troubles anxieux, devenus invalidants dans leur quête de performance. Or, en creusant un peu, il est fréquent de retrouver une vulnérabilité antérieure, avec par exemple des antécédents d’épisodes dépressifs saisonniers, voire majeurs », a expliqué la psychiatre.

Selon elle, « la prépa ne rend pas malade en soi, mais renforce la vulnérabilité ». D’où la nécessité de mieux repérer les étudiants en souffrance et de les accompagner au plus tôt, même s’ils sont en général peu demandeurs de soins, en raison notamment d’un contexte qui les pousse à se surpasser et à prendre sur soi.

« On estime que 25% de la population étudiante souffrent de détresse psychologique ». Une proportion en hausse, en raison de la multiplication des facteurs environnementaux stressants (hausse du nombre d’étudiants, pression de sélection accrue, compétition nationale et internationale, précarité économique…), explique le Dr Monchablon.

Estime de soi altérée et pensées suicidaires

Selon les résultats de l’enquête I-Share (Internet based Students health Research Enterprise), qui ont été présentés lors de cette session consacrée à la santé psychique des étudiants, 51% des étudiants à l’université interrogés rapportent un haut niveau de stress et 25% déclarent ressentir une forte anxiété.

 
En général, les étudiants soumis à la pression des classes préparatoires en viennent à consulter lorsque leur état risque d’interférer sur leurs performances, explique le Dr Monchablon.
 

Cette étude est l’une des rares à décrire l’état de santé général des étudiants en France. Elle s’appuie actuellement sur une cohorte de 21 000 participants de plusieurs universités françaises, a précisé lors de sa présentation Christophe Tzourio (Centre de recherche Bordeaux Population Health, université de Bordeaux), l’un des principaux investigateurs [2].

Les participants, recrutés notamment sur les campus par le biais d’ « étudiants relais », sont invités à répondre chaque année à un questionnaire en ligne. L’enquête révèle également que 62% des étudiants interrogés présentent une faible estime de soi, 18% ont une symptomatologie dépressive modérée à sévère et 22% ont eu des pensées suicidaires dans les 12 derniers mois.

Selon le Dr Montchablon, cette fragilité psychique peut aussi s’expliquer par une évolution du cadre de vie universitaire, avec notamment une hausse de l’hétérogénéité de la population étudiante. Celle-ci s’avère particulièrement importante dans les grandes écoles, où se retrouvent de nombreux étudiants venant de toute la France et de l’étranger, et donc potentiellement confrontés au déracinement, « un facteur de risque majeur de décompensation psychique ».

Identifier les facteurs déstabilisants

« Il est tout d’abord nécessaire de savoir identifier les facteurs déstabilisants et les sous-groupes d’étudiants les plus à risque pour mettre en place une approche préventive ». En dehors des facteurs de stress, la psychiatre a évoqué les risques liés à l’isolement, aux difficultés économiques, mais aussi aux différences socio-culturelles, qui peuvent renforcer les pressions liées à la volonté de réussir.

« Les inégalités socio-culturelles ne sont pas compensées par le seul diplôme. Il s’agit là d’un point important pour ces étudiants des grandes écoles », souligne-t-elle. « Certains sont confrontés à des codes culturels, à des valeurs à travers lesquelles ils ne se reconnaissent pas. Ils en viennent alors à s’interroger sur leur identité, sur leurs valeurs personnelles et familiales, au regard du choix du parcours scolaire et de leur avenir professionnel. »

Les étudiants peuvent alors se sentir en rupture par rapport à leur origine ou à leur projet de vie, d’où un état anxieux, qui peut être accentué en cas d’isolement et de difficultés relationnelles. « Après le succès, vient le désenchantement », et une forte insatisfaction par rapport au choix de l’école.  « L’engagement peut alors être vécu comme une forme d’enfermement ».

En général, les étudiants soumis à la pression des classes préparatoires en viennent à consulter lorsque leur état risque d’interférer sur leurs performances, explique le Dr Monchablon. Ceux des grandes écoles évoquent davantage les difficultés relationnelles, ainsi que la question de l’épanouissement personnel et de la quête de sens dans leur projet de vie.

 
Parmi les troubles de la personnalité, certains comme les troubles obsessionnels et paranoïaques peuvent se révéler dans le contexte des grandes écoles.
 

Accompagnement aléatoire

Les troubles anxieux, liés à la pression de performance ou à des difficultés d’adaptation, sont les plus fréquents. Parmi les troubles de la personnalité, certains comme les troubles obsessionnels et paranoïaques peuvent se révéler dans le contexte des grandes écoles. Les troubles bipolaires sont particulièrement fréquents, a noté la psychiatre.

Elle a aussi insisté sur les difficultés relationnelles rencontrées par certains élèves, en lien notamment avec des différences culturelles, qui peuvent devenir très invalidantes. Elle a, entre autre, souligné la problématique de l’identité sexuelle et de l’homosexualité chez les étudiants venant des pays d’Afrique et du Maghreb, qui peut être à l’origine d’une forte détresse psychique dans cette population.

Si l’accompagnement précoce de ces étudiants s’avère nécessaire, il est parfois difficile à mettre en place, précise la spécialiste. Il s’agit pourtant d’un enjeu majeur, qui s’avère indispensable pour augmenter les chances de réussite des étudiants, favoriser la socialisation et faciliter plus tard l’intégration professionnelle, estime-t-elle.

En l’absence de prise en charge, « les premiers signes de souffrance au travail peuvent apparaitre dès la mise en contact avec le milieu professionnel », avec un risque accru de suicide et de difficultés psycho-sociales. « La confrontation avec le milieu professionnel peut alors contribuer à l’émergence d’une maladie psychiatrique. »

A la fin de la présentation, le Dr Alain Braconnier, psychiatre et psychanalyste, modérateur de cette session, a aussi rappelé que l’expérience en école supérieure représente une forme de rite de passage, « dans une continuité de réussite ».

Ces jeunes sont confrontés à la nouveauté, « avec l’idée que tout est possible, mais aussi leurs propres limites », ce qui les amène à faire des choix difficiles et anxiogènes. Dans les grandes écoles, le discours élitiste renforce cette impression, qui plus est en y ajoutant une injonction de réussir.

 

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