20 ans du TAVI : le Pr Cribier récompensé par l’ACC

Vincent Richeux

12 avril 2022

Washington, Etats-Unis — En remettant au Pr Alain Cribier (CHU de Rouen) le prix « Presidential Citation Award », le congrès de l’American College of Cardiology (ACC 2022) a tenu à rendre hommage au cardiologue interventionnel qui, par sa  détermination, a pu mettre au point le remplacement aortique par voie percutanée (TAVI). Il y a tout juste 20 ans, la première valve était posée au CHU de Rouen chez un homme atteint de sténose aortique inopérable. Retour avec la Pre Hélène Eltchaninoff (CHU de Rouen) sur ces années de recherche et de persévérance, qui ont précédé la généralisation d’un dispositif devenu incontournable.

Arrêts cardiaques à répétition, choc cardiogénique, fonction cardiaque avec fraction d’éjection (FEVG) à 12%, voie fémorale inaccessible, comorbidités multiples… le premier patient à avoir reçu une prothèse TAVI pour traiter une sténose aortique symptomatique était loin d’avoir le profil idéal pour garantir les meilleures chances de succès. Et pourtant, les résultats ont dépassé les attentes.

Récupération en huit jours

En ce jour d’avril 2002, le patient de 57 ans, dont la sténose avait été traitée sans succès par dilatation aortique, est pris en charge au CHU de Rouen pour recevoir la première implantation de valve aortique percutanée, jusqu’alors expérimentée uniquement chez l’animal. Une fois la prothèse insérée par cathéter, puis déployée au milieu des calcifications aortiques, « le résultat a été incroyable, avec une amélioration du gradient de pression aortique. En huit jours, le patient était totalement ressuscité », a commenté le Pr Alain Cribier, lors d’une présentation retraçant l’histoire du TAVI aux dernières Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC 2022) [1].

 

Le Pr Alain Cribier auprès du premier patient ayant bénéficié du TAVI, le 16 avril 2002

 

« La dilatation aortique pratiquée par voie percutanée s’est avérée insuffisante pour améliorer l’état de ce patient. Pour le Pr Cribier, on ne pouvait pas laisser mourir ce patient jeune, alors que notre prototype était prêt après avoir été testé sur une centaine de brebis », a précisé auprès de Medscape édition française la Pre Hélène Eltchaninoff, qui a participé au développement du dispositif. « L’opération a été très compliquée, puisque l’artérite empêchait de passer par l’artère fémorale, comme prévu initialement. Il a fallu choisir la voie trans-septale [à travers la paroi du coeur séparant les deux ventricules, ndr]. Une fois déployée, la valve est restée bien en place, ce qui était pressenti après nos expérimentations sur l’animal, mais surtout, la tension artérielle est tout de suite redevenue normale ».

L’audace récompensée

Chaque année, le Presidential Citation Award est décerné par l’ACC en reconnaissance d’une contribution essentielle dans le domaine de la cardiologie. « Cette année, je suis fière d’apporter cette reconnaissance au Pr Cribier pour son engagement inébranlable dans un projet à première vue impossible, qui sauve aujourd’hui des vies et donne de l’espoir à des centaines de milliers de patients à travers le monde », a déclaré la présidente de l’ACC, la Dr Dipti Itchhaporia (Newport Coast Cardiology, Newport Beach, Etats-Unis), lors de l’ACC 2022, à l’occasion du 20ème anniversaire du TAVI.

Pour l’équipe de cardiologie interventionnelle du CHU de Rouen, alors dirigée par le Pr Cribier, cette opération est l’aboutissement de plusieurs années de recherche menées pour trouver un moyen de sauver les nombreux patients atteints de sténose aortique ne pouvant pas bénéficier d’un remplacement valvulaire chirurgical.

Dans les années 1980, « un tiers des patients porteurs d'une sténose aortique symptomatique ne pouvaient pas être opérés », rappelle le Pr Cribier. Un âge supérieur à 70 ans étant notamment considéré comme une contre-indication à la chirurgie cardiaque. Or, la moitié des individus souffrant d’une sténose aortique sont dans cette tranche d’âge. Avec une mortalité de 80% à deux ans chez les patients non opérés, les services de cardiologie font alors face à une « hécatombe inacceptable ».

Débuts prometteurs avec la valvuloplastie percutanée

Peu après son arrivée au CHU de Rouen en 1977 en tant qu’interne, le Pr Cribier est envoyé faire un stage décisif au Cedars-Sinai Medical Center de Los Angeles, aux Etats-Unis, spécialisé dans le cathétérisme cardiaque, d’où il revient avec « beaucoup d’innovations technologiques en tête ». Avec son équipe du CHU, il participe au développement de la dilatation aortique par ballonnet, qui conduit à une première valvuloplastie percutanée en 1985. « A l’époque, mettre un ballonnet à l’intérieur d’une valve calcifiée était considéré comme impossible à réaliser. On pensait que la manœuvre allait entrainer le décès immédiat du patient », rapporte le cardiologue.

Atteinte d’une sténose très symptomatique et âgée de 72 ans, la première patiente ainsi opérée avait été refusée pour une chirurgie en raison de son âge et de la présence d’une angine de poitrine. Après la dilatation aortique obtenue en gonflant simplement un ballonnet dans la valve déficiente, elle a pu reprendre une vie normale sans symptômes pendant deux ans.

Fort de ce premier succès, l’équipe de cardiologie interventionnelle du CHU de Rouen a ainsi traité plusieurs patients jugés inopérables, avant de publier les résultats, qui ont eu un fort retentissement au niveau international. Si la technique apporte déjà une belle notoriété à l’équipe du CHU de Rouen, elle a un inconvénient majeur: la sténose se forme à nouveau après l’intervention.

« Chez ces patients, la resténose était quasi inévitable après dilatation aortique. Elle survient dans un délai de trois mois et un an. A deux ans, le taux de resténose est de 80% », précise la Pre Eltchaninoff. Pour pallier cet inconvénient le Pr Cribier propose aux début des années 1990 un nouveau concept : « implanter une valve à coeur battant à l’intérieur du rétrécissement aortique calcifié, en utilisant des techniques de cathétérisme habituelles et sous anesthésie locale ». Une idée jugée alors « totalement farfelue » par les chirurgiens qui considéraient le procédé « impossible techniquement » et « extrêmement dangereux », se rappelle le cardiologue. La crainte était notamment de voir le dispositif obstruer l’entrée des artères coronaires, endommager la valve mitrale ou encore écraser le septum, mettant ainsi en jeu le pronostic vital.

Des tests de résistance déterminants

Face au défi, l’équipe de cardiologie interventionnelle reste soudée autour de son responsable. « On avait des difficultés à comprendre comment il serait possible de passer une valve de deux à trois centimètres de large par l’artère fémorale, mais nous avions confiance dans l’esprit d’innovation du Pr Cribier », souligne la Pre Eltchaninoff. Pour valider le concept, l’équipe teste la mise en place de stents de 23 mm de diamètre par un ballonnet gonflé dans des valves aortiques sténosées de patients décédés.

« Ces essais ont été déterminants. Ils révèlent pour la première fois que les stents déployés résistent et se maintiennent ouverts après avoir écartés les calcifications aortiques, tout en restant à une distance suffisante des coronaires et de la valve mitrale ». Il ne restait plus qu’à finaliser le modèle en fixant à l’intérieur du stent une prothèse de valve expansible, pour que l’ensemble ne dépasse pas, une fois comprimé sur cathéter, les 8 mm de diamètre pour permettre le passage par l’artère fémorale.

Après avoir déposé le brevet de son invention, le Pr Cribier tente en vain pendant cinq ans d’obtenir le soutien des industriels. On lui renvoie à nouveau les mêmes arguments, notamment sur le risque de complications. Déterminé, le cardiologue convainc deux ingénieurs avec qui il fonde en 1999 la start-up Percutaneous Valve Technologis (PVT), à l’origine des premiers modèles de valve tricuspide TAVI, d’abord en polymère, puis en péricarde bovin. Après trois années d’essais en laboratoire et sur un modèle animal, le dispositif est enfin prêt pour une évaluation chez l’homme.

Les résultats inespérés obtenus avec le premier patient ont fait l’objet d’une publication dans Circulation, qui a soulevé un fort enthousiasme dans la communauté de la cardiologie interventionnelle [2]. Il a fallu encore attendre un an pour que la Haute autorité de santé (HAS) valide l’utilisation de ce traitement en compassionnel chez des patients ayant moins de deux semaines d’espérance de vie.

Les recherches entravées en France

L’équipe a pu ainsi opérer une série de 38 patients dans un état grave par voie trans-septale et valider la technique en obtenant un taux de succès à 80% et une excellente amélioration hémodynamique. L’insuffisance aortique restait toutefois sévère dans 25% des cas, en raison du diamètre du TAVI à 23 mm, qui s’est avéré insuffisant.

L’amélioration exceptionnelle de l’état de santé des patients a été un argument majeur pour finir de convaincre de l’intérêt du dispositif. L’une des patientes, âgée de 83 ans, en choc cardiogénique et considérée comme condamnée avant l’opération, a pu se rendre un an plus tard aux Etats-Unis, au congrès TCT ((Transcatheter Cardiovascular Therapeutics) de Washington, pour témoigner de sa récupération. « Qui aurait pu croire à un tel résultat, alors qu’elle était mourante ? », commente le Pr Cribier. La technique prend alors son essor au niveau international. En 2005, une centaine de valves TAVI étaient implantées dans le monde par voie trans-septale.

C’est à cette période que le fabricant Edwards, qui avait toujours refusé d’accompagner le développement de cette innovation, rachète la start-up PVT et propose une série de modèles, dont la valve Sapien®, qui devient le modèle de référence pour une implantation par voie fémorale. Cette voie d’abord, envisagée initialement, est pour la première fois utilisée au Canada, au grand désarroi de l’équipe française, qui voit l’invention leur échapper. En France, pour des raisons obscures « certainement liées à des réticences encore fortes, en particulier chez les chirurgiens », les autorités sanitaires tardent à donner le feu vert, précise la Pre Eltchaninoff.

Le dispositif est finalement validé et obtient son remboursement en France en 2009, tout comme la prothèse CoreValve®, une valve TAVI concurrente dite auto-expandable.

Le concept initial finalement adopté

Progressivement les indications s’élargissent au rythme des publications, qui font preuve d’une grande rigueur scientifique. Le premier essai randomisé PARTNER confirme le bénéfice du TAVI chez les patients non opérables, avec une baisse de mortalité de 20% à un an, par rapport au traitement médical habituel.

Quelques années plus tard, d’autres études, dont PARNER 2, valident le TAVI dans le risque intermédiaire. Fin 2019, la technique devient un potentiel traitement de premier choix pour la majorité des patients après sa validation chez les patients à bas risque, amenant la Food and Drug Administration (FDA) à approuver le TAVI chez les patients de plus de 65 ans à faible risque. Les dernières recommandations européennes de 2021 ont fixé la limite à 75 ans, mais avec la possibilité de discuter avec le patient de l’option du TAVI à partir de 65 ans.

En parallèle, l’opération se simplifie, conformément à la procédure initiale mise au point par l’équipe du CHU de Rouen, qui privilégie l’anesthésie locale. Avec cette approche minimaliste et l’évolution du matériel utilisé, « il est très tôt apparu évident que le TAVI était supérieur à la chirurgie, en particulier chez les plus de 75 ans », estime la Pre Eltchaninoff. Il a fallu le prouver et là encore, « les réticences se sont avérées très fortes à chacune des étapes » visant à valider la procédure, qui permet également au patient de sortir de l’hôpital moins de trois jours après l’opération.

Le concept initialement imaginé par le Pr Cribier « a fini par être entièrement concrétisé » et est largement employé aujourd’hui au niveau international grâce à l’obstination sans faille d’une petite équipe de cardiologues interventionnels du CHU de Rouen.

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